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 Face à ses élèves, Annie Ernaud se souvient de ses 16 ans.  Elle se dit qu'elle a beaucoup de choses à raconter et entreprend de rédiger son auto-biographie qu'elle intitule : "les armoires vides".  En voici un extrait.

Il n’y avait plus aucun doute.  J’étais enceinte.  J’avais 16 ans, j’étais jeune et naïve.  J’ai cédé au premier jeune homme qui m’a fait la cour.  Il faut dire, pour ma défense, qu’il avait tout pour lui.  Un physique de jeune premier, beau-parleur, mais surtout charmeur !  Il me disait qu’il allait m’emmener loin d’ici, là où l’horizon est ouvert, où il n’y a pas de frontières.

Puis, un jour, il n’est plus revenu.  Je n’ai jamais plus eu de nouvelles. J’ai refusé de croire qu’il m’avait abandonnée, j’ai espéré  longtemps qu’il allait revenir.  J’ai pleuré, pleuré ….

J’étais enceinte de 2 mois et demi lorsque ma mère s’est aperçue que mes malaises matinaux n’étaient pas dus à une simple gastro.  Et là, j’ai craqué, je lui ai tout dit.

J’ai vu son visage blanchir et se fermer.  Elle m’a tirée par le bras et emmenée chez une femme que je n’avais jamais vue.

Elles ont parlé ensemble quelques minutes puis ma mère est partie.  J’étais seule, dans cette maison sombre, avec cette femme inconnue.  Je l’entendais faire couler de l’eau dans une marmite.  Elle me dit de m’asseoir en attendant.  Lorsque l’eau fut bouillante, elle m’ordonna de me déshabiller et de m’étendre sur le canapé.

Effrayée, je refusai, je voulais quitter cette femme et ce lieu maudit.  Elle me fixa, d’un regard perçant et lâcha d’un ton qui n’admettait aucun commentaire : “Jeune fille, lorsqu’on joue avec le feu, il faut en assumer les conséquences et prendre ses responsabilités.  Ca ne sera pas long.  Reste tranquille et tout se passera bien.”

Je compris alors ce qui allait se passer.  Cette femme était une "faiseuse d’anges".  Elle me donna une tisane amère que je dus avaler d’une traite.  Puis, elle me conseilla de me détendre.

Quand je la vis arriver avec ses aiguilles à tricoter, je perdis connaissance.

Lorsque je repris mes esprits, je ressentais d’horribles douleurs dans le ventre et je saignais abondemment. 

“Tout s’est bien passé” me dit-elle, “tu vas saigner encore quelques jours, sans plus.”

Ma mère arriva peu de temps après.  Sans un mot, elle m’entraîna.

En arrivant à la maison, elle siffla juste : “pas un mot de tout ça à ton père, sauf si tu veux qu’il nous tue !”

Je montai dans ma chambre en me tenant le ventre.  A mon père qui se demandait ce que j’avais , ma mère répondit : “elle est dans sa mauvaise semaine, ça va passer.”

Depuis lors, pas un jour ne s’est passé sans que je ne pense à ce petit être qu’on m’a retiré ce jour-là, sans même me demander mon avis. 

Aujourd’hui, cet enfant aurait 20 ans.

J’ai eu le grand bonheur de mettre au monde 2 beaux enfants par après.

Dès qu’ils ont été en âge de comprendre, je leur ai expliqué ce que j’avais vécu pour qu’ils sachent que, si cela leur arrive un jour, je serai là pour les écouter.

Quel que soit leur choix, je ne leur imposerai jamais le mien, car c’est eux qui devront le porter ... toute leur vie !

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